Décalage horaire

Frédéric a un don. Dit comme ça, ça peut paraître brutal, mais Frédéric a un don. Je ne sais pas comment il fait, ni même s'il fait quelque chose pour ça, mais c'est indéniable, Frédéric a un don. Imaginez : je perds mes clés, hop, Frédéric les retrouve. Mes lunettes ? Idem. Chiffon se fait chasser de la maison, qui le retrouve ? Frédéric. Et même si, de temps en temps, il ne trouve pas la moutarde dans le frigo, je l'ai bien compris depuis le temps, c'est juste pour que je ne fasse pas un complexe d'infériorité. Donc il a un don et en plus il est délicat. Comme je sens comme un flou, là, j'arrête tout le monde : Frédéric n'est pas à vendre. Un homme comme ça, ça se garde précieusement, tout le monde le comprendra aisément.
Donc, Frédéric a un don. Nous en avons encore eu la preuve pas plus tard que sa première soirée en Guyane. Ca commençait mal, pourtant. En sortant de la salle des bagages, alors qu'il était tout frais pimpant : personne pour l'attendre dehors. Et ben voui, moi j'ai pas de don et faire les papiers de la voiture de location, ça a été plus long que prévu. D'autant que je suis partie sans payer, mais c'est une autre histoire... Donc l'homme attendait, stoïquement, mais à la clim, en trouvant quand même que, boudiou, sous ces latitudes, même quand il est censé faire frais, il fait quand même vachement chaud et humide.
Une fois dûment récupéré par sa petite femme, l'homme émit le souhait de sortir découvrir Cayenne pour éviter l'endormissement. Ni une ni deux, zou à Cayenne. Balade sous la pluie tropicale et arrêt "Chez Sauveur", les meilleurs accras de la ville, je l'atteste.
Toujours dans un souci de maintenir l'homme en dehors du sommeil, nous décidons d'aller à la plage, des fois que les tortues luth viendraient y faire un tour. Ca faisait deux soirs que j'y allais sans rien voir bien entendu. On prépare donc le truc "Oui, faudra peut-être rester un peu, ne pas repartir immédiatement, apprendre à être patient" et patati et patata. A l'Auberge des plages, hop, pieds dans le sable et zou vers la mer. Et là, tout de suite qui montait péniblement sur le sable sec, Madame tortue luth. Quand je vous dis qu'il a un don...
Nous avons donc passé la soirée à côté de cette grande (grosse) dame. 400kg qui se hissent difficilement sur la plage, en poussant de grands (gros) soupirs... Une fois bien positionnée, elle creuse, avec ses pattes arrière, un trou bien droit d'une profondeur de 80cm. Et là on se souvient de ses constructions de quand on était petits et que ça s'écroulait tout le temps... Avec elle, ça s'écroule pas. On se sent moins "espèce dominante", du coup. Après elle pond ses oeufs, tout mous. Et elle recouvre tout ça avec du sable, en tassant tout doucement avec ses nageoires arrière. Une délicatesse folle pour une si grosse bestiole, c'est très émouvant... Une fois tout recouvert, elle brouille les pistes, ratisse le sable sur une grande surface et retourne vers la mer. Et on se retrouve tout seul sur la plage, avec un sourire béat et au coeur comme une douceur tranquille.
Frédéric a un don et il aime la Guyane